Né en 1929 à Paris, décédé dans cette même ville en 1995, Gil Joseph Wolman est une des figu­res majeu­res des avant-gardes qui ont connu leur déve­lop­pe­ment dans la capi­tale fran­çaise après la Seconde Guerre mon­diale.

Poète let­triste en 1949, sa théo­rie des « méga­pneu­mies » (1951) pro­longe la théo­rie let­triste d'Isidore Isou en por­tant atteinte à la lettre elle-même, en dis­so­ciant la consonne de la voyelle qu'elle porte, pour libé­rer le souf­fle. En 1951 tou­jours, Wolman réa­lise un film, L'Anticoncept, qui prend acte de la des­truc­tion de l'image par le cinéma let­triste et réduit le film « à l'uti­li­sa­tion de sa quin­tes­sence : le mou­ve­ment ». Dans L'Anticoncept, il crée un mou­ve­ment pri­maire qui couvre tota­le­ment l'écran, cons­ti­tué par un ballon sonde, où alterne le noir au blanc ; la bande sonore est un long poème non-nar­ra­tif entre­coupé de « méga­pneu­mies », nou­velle poésie du souf­fle.

Ayant fait scis­sion d'avec le Lettrisme d'Isidore Isou en 1952, Gil Joseph Wolman fonde alors l'Internationale let­triste avec Guy Debord : outre un Relevé d'ambian­ces urbai­nes au moyen de la dérive, il rédige avec lui en 1956 le Mode d'emploi du détour­ne­ment qui fait suite à ses tra­vaux de décou­page de textes préexis­tants pour com­po­ser ses pro­pres oeuvres (J'écris propre, 1956).

Exclu de l'Internationale let­triste en 1957, Gil Joseph Wolman entre­prend en 1959 un nou­veau tra­vail plus réso­lu­ment pic­tu­ral, incluant des matiè­res plas­ti­ques, des cira­ges, des papiers mâchés dans les­quels il ins­crit des écritures et des graf­fi­tis.

Avec l'Art scotch com­mence, en 1964, la période la plus pro­li­fi­que du tra­vail de Gil Joseph Wolman : il s'agit pour l'artiste d'uti­li­ser des bandes adhé­si­ves pour arra­cher dans les jour­naux et les revues des frag­ments de textes et d'images qui res­tent ins­crits dans la colle. Celle-ci est alors repor­tée sur divers sup­ports (plan­ches de bois, toiles) en lignes super­po­sées qui posent autant la ques­tion de la cons­ti­tu­tion du tableau dans sa rela­tion au monde que la « dis­so­lu­tion et la cons­ti­tu­tion du mou­ve­ment » (titre de l'expo­si­tion Wolman à la gale­rie Valérie Schmidt en 1968).

La grande toile (162 x 114 cm) appar­te­nant au Frac Bourgogne a été réa­li­sée en 1968 à l'occa­sion de cette der­nière expo­si­tion. De grands tableaux (les plus grands jamais réa­li­sés par Gil Joseph Wolman dans sa période Art scotch) appa­rais­saient alors comme une alter­na­tive aux affi­chis­tes, avec une dimen­sion de cri­ti­que sociale plus forte. Uniquement cons­ti­tuée de textes, l'oeuvre laisse dif­fi­ci­le­ment lire les événements aux­quels elle fait réfé­rence : la den­sité du scotch inter­vient comme l'équivalent de la matière pic­tu­rale et le pro­cédé extrê­me­ment rigou­reux de l'appli­ca­tion du médium (par bandes régu­liè­res posées hori­zon­ta­le­ment) fait écho à la répé­ti­tion des infor­ma­tions dans une stra­ti­fi­ca­tion tem­po­relle indé­fi­nie.

L'oeuvre en dip­ty­que (157 x 114 cm) est une pièce qui semble vou­loir évoquer par son dis­po­si­tif même (les deux châs­sis sont fixés l'un à l'autre par des char­niè­res) le livre auquel a été emprunté le texte recollé : il s'agit d'une édition du Capital de Karl Marx dont la pré­face a été régu­liè­re­ment repor­tée sur la toile. Le prin­cipe du détour­ne­ment reste donc impor­tant dans l'Art scotch, mais il faut noter qu'il n'est jamais simple : dans cette oeuvre, il s'agit moins de détour­ner le texte que, semble-t-il, les fonc­tions mêmes du livre et du tableau, confon­dus en un seul objet pro­blé­ma­ti­que.

En 1977, Gil Wolman réa­lise Quelques jours en août 1976, édition de qua­rante-huit affi­ches sur les­quel­les sont évoqués au futur des événements tra­gi­ques sur­ve­nus durant l'été de l'année pré­cé­dente ; les affi­ches de chaque exem­plaire de cette édition doi­vent être déchi­rées en deux puis res­tau­rées sur un carton. Les affi­ches conser­vent alors la trace d'une des­truc­tion par laquelle a pu se faire leur ins­crip­tion dans un temps qui ren­voie aussi à la cons­cience « pré­vi­si­ble » du spec­ta­teur. Le prin­cipe même de l'infor­ma­tion se trouve également inter­rogé.

La sépa­ra­tion devient un des thèmes majeurs des der­niè­res recher­ches de Joseph Wolman (Duhring, Duhring, 1979) qui, par leur rela­tion insis­tante avec les condi­tions socia­les et exis­ten­tiel­les de l'art, s'ins­cri­vent incontes­ta­ble­ment parmi les plus exi­gean­tes de l'après-guerre fran­çais.

 

Emmanuel Latreille