À travers une série de sept bâtons blancs sculptés sur lesquels se déploie une iconographie en lien avec les contes et légendes, Mathieu Briand développe un ensemble de scènes complexes, toujours en relation avec l'enfance et ses peurs perpétuellement inculquées par les adultes à travers des histoires a priori inoffensives lues avant de dormir, qu'il remet en scène avec de nouveaux développements imagés.
L'artiste revisite par exemple l'histoire du Joueur de flûte de Hamelin, où le musicien qui dératisa la ville avec sa musique, furieux de ne pas avoir été payé, revint et conduisit à la mort les enfants en jouant de nouveau de son instrument. Ici, les rongeurs courent sur le support, se jetant à l'intérieur par l'extrémité supérieure et ressortant par le bas, dans une boucle infinie d'autant plus perturbante que certains ont muté, arborant des têtes d'enfants.
Ailleurs, dans des scènes parfois ambiguës, ce sont des loups ou des ogres qui s'en prennent aux bambins, à moins que ces derniers ne se perdent dans des dédales labyrinthiques?
S'ajoute à cette installation un oeuf énigmatique, symbolisant la chambre d'un enfant à l'intérieur de laquelle on le trouve pendu à un arbre, un curieux personnage à ses côtés.
Bâton de pèlerin, bâton de berger, bâton de sorcier?
Loin d'être anodin le bâton est, à l'inverse, de ces objets chargés de pouvoirs temporels ou spirituels, de significations, d'usages, de codes, dont la variété semble pouvoir être quasi infinie, et la lecture et l'interprétation tout autant.
Tantôt il accompagne, tantôt il soutient. Tout à la fois réceptacle et symbole d'une expérience, il devient comme un lieu sur lequel peut potentiellement se projeter tout un imaginaire ; ses multiples rôles et acceptions permettant, grâce à la pratique ornementale notamment, d'en faire un support intéressant - voire entretenant - la narration.
Dans une époque soumise à un lissage généralisé, l'ensemble arbore une tonalité très sombre, mettant ainsi en exergue l'aspect souvent dramatique des contes et légendes. Surtout, il est frappant de constater à quel point l'artiste parvient à s'insérer dans une forme d'ambiguïté constitutive de ces récits, où drames et autres atrocités se déploient sur des objets à la plastique parfaite et à la blancheur immaculée. Des objets qui autorisent une forme d'extension de la narration, en racontant des histoires où chacun peut projeter ses peurs et souvenirs, et laisser dériver l'esprit vers d'autres territoires.
Car en plus de réintroduire ici la part d'expérience personnelle contenue dans le bâton, Mathieu Briand lie celle-ci à la fiction.
S'engage en effet, comme cela fut souvent le cas dans son oeuvre, un mouvement de va-et-vient entre réel et fictif, territoires concrets et mentaux, d'autant plus efficient que la légende a chez tout un chacun, enfant, eu des incidences concrètes, en entretenant notamment des peurs véritables issues de ces récits, au premier rang desquels la crainte du noir ou de la forêt.
Dans sa Psychanalyse des contes de fées (1976), Bruno Bettelheim traita, entre autres problèmes, de la nécessité pour la structuration de l'enfant d'intégrer le principe de réalité en se détachant progressivement du principe de plaisir. Ces Bâtons de légende s'en font curieusement l'écho.
Frédéric BONNET