«Le cyborg : question de fiction et de vécu, qui change ce qui compte en tant qu’expérience des femmes en cette fin de XXe siècle. Il s’agit d’une lutte de vie et de mort mais la frontière qui sépare la science-fiction de la réalité sociale n’est qu’illusion d’optique.»
Donna Haraway, «Manifeste cyborg: science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle», 1991
Publiés en 1991, ces mots de la philosophe Donna Haraway théorisent des sujets déjà largement abordés dans les travaux de l’artiste féministe pop Kiki Kogelnik au début des années 60. Sous des atours pop et colorés, les oeuvres de cette artiste autrichienne émigrée au Etats-Unis à l’âge de 26 ans, rejoignent les questionnements actuels autour du genre et de la représentation du corps.
Poursuivant son intérêt pour les artistes femmes engagées dans leur époque et éclairant notre présent (exposition «La Femme visible», 24.11.16 – 11.01.17), la galerie natalie seroussi s’associe à la Fondation Kiki Kogelnik et à la Galerie Simone Subal de New-York pour exposer les silhouettes fragiles, technologiques, cosmiques et colorées de Kiki Kogelnik à l’occasion d’une première exposition personnelle en France.
Bien qu’elle côtoie les plus grands artistes pop de sa génération (Roy Lichtenstein, Claes Oldenburg, Andy Warhol, Tom Wesselmann), Kiki Kogelnik fait figure d’ovni dans ce paysage masculin tout occupé à glorifier ou à dénoncer la société de consommation. Plus que l’objet, c’est le corps qui l’intéresse.
Corps artificiel, corps social, cellule familiale, Kiki puise dans l’actualité et au sein de son entourage son inspiration: alunissage d’Apollo 11, silhouettes de ses amis, femme-objet ventant les mérites d’un soin détachant, Kiki Kogelnik fait preuve d’une ironie décapante pour explorer la reconfiguration du corps etdu soi à l’ère des nouvelles technologies, qui la fascinent et l’interrogent.
Féministe incluante (les hommes ne sont pas absents de ses oeuvres) et moins virulente que Judy Chicago à la même époque, Kiki Kogelnik capte les énergies positives de son époque qu’elle déploye au sein d’un vocabulaire dynamique, coloré, fragmenté, libéré des contraintes du minimalisme.
Ses corps démembrés, la multiplication des bras et des jambes qu’elle hybride avec des rouages mécaniques évoque un certain primitivisme (on pense aux empreintes de main de la grotte de Lascaux). Réinventé, elle donne au corps une nouvelle liberté de mouvement par-delà une assignation sociale.
Son oeuvre est une célébration de la joie de vivre, mais aussi un appel à l’émancipation, incitant les femmes de sa génération à devenir des cyborgs plutôt que des déesses.