Notre exposition "Villes boucliers " présente des dessins récents de Claude Parent et fait écho à celle de la Cité D'architecture et du Patrimoine intitulée : Claude Parent : l'oeuvre construite, l'oeuvre graphique. Du 20 Janvier au 2 Mai 2010.
Pour une architecture de sauvegarde
Depuis que notre planète s'est révélée habitable pour des espèces vivantes et reproductibles, elle s'est proposée comme support de migration : La migration étant définie comme un déplacement de population d'un pays dans un autre pour s'y établir ; ceci en suivant mot à mot la définition des dictionnaires : que la migration soit permanente ou saisonnière.
Aussi la terre a-t-elle été de tous temps le plus formidable champ migratoire qu'il soit, à commencer par la sortie des océans pour conquérir en rampant la couche terrestre. Ainsi, en est-il aussi de quitter les arbres pour préférer le sol et ses cavernes.
Mais la dernière migration absolument fabuleuse fût sans doute celle du chasseur poursuivant le gibier pour se nourrir et survivre avec tous les membres de ses tribus. Si l'on en croit les savants, les hommes de ce temps là, dans leur migration entêtée et générale auraient grâce au gel du détroit de Behring parcouru la terre entière de l'Afrique à la Patagonie. La migration pourrait être considérée comme le moteur même de l'humanité, sa raison d'être, réponse à sa soif de connaissance par le mouvement et l'appel à la découverte, réponse à son inlassable curiosité.
Seules certaines modifications du climat en provoquant la disparition du gibier auraient, dit-on, pousser les femelles de l'espèce à découvrir les plantes sauvages, à trier celles qui apporteraient de la nourriture suffisante pour survivre et par voie de conséquence auraient inventé la SEDENTARITE.
Il nous faut voir dès lors la terre comme le théâtre d'une lutte incessante entre migration et sédentarité au gré des caprices du climat. Cet état migratoire est donc à considérer comme naturel, comme une fluctuation allant de soi entre les territoires empruntés par des populations dites migrantes et des espèces sédentaires fixant le sol à leur usage particulier. Rien n'a changé dans les milliers d?années qui nous précèdent sinon que deux lettres et un mot ont été hélas ajoutés pour pervertir cet équilibre naturel : migrants est devenu immigrants, substantif discriminatoire désormais dans la mesure où le dictionnaire définit aussi : Immigrer comme venir s'installer dans un pays étranger au sien. Dès lors que les champs migratoires sont cloisonnés par les obstacles fixés par les sédentaires, le conflit éclate. Dans les années qui précèdent l'an 2000 des solutions provisoires réglaient à coup de millions et de millions de mort ce conflit latent. Ainsi firent les guerres coloniales et les guerres mondiales.
Mais aujourd'hui la croissance démographique est telle que des milliards d'individus nomades ou fixes ne pourront survivre faute de sol. La terre ne pourra plus les absorber. Les hommes seront dans leur globalité contraints à un combat permanent. Un raz de marée humain analogue à un TSUNAMI, celui des non logés, détruira sur son passage tout semblant de protection d'un enclos de sédentaire. Ce n'est pas la mer et son débordement qui causeront la mort de l'espèce humaine, ce n'est pas la chaleur ni la sécheresse, ni même les volcans et le soleil dont on saura se protéger.
Par contre la déferlante de milliards de corps d'hommes et de femmes en mouvement détruira tout sur son passage, les murs tomberont, des tours s'écrouleront sous les assauts de ces masses humaines en déplacements incoercibles. On sait déjà que rien ne résiste à la foule. Alors imaginez une masse vertigineuse de milliards de corps s'ouvrant un passage de force dans nos villes. Rien ne résistera au tsunami humain. Et cela ne se produira pas dans un siècle mais dès demain, au seuil des années 2050.
Pour retarder cette échéance mortelle dans ce que l'on doit appeler, comme je l'ai fait dans un livre de Hans Ulrich Obrist « L'alerte rouge » il faut entreprendre aujourd'hui deux structures : Couvrir le sol de la planète de collines continues dont les pentes et contrepentes empêcheront les foules de s'accrocher à quoi que ce soit. Faire en sorte que les foules ne rencontrent aucun obstacle à leur parcours mortel et suicidaire, leur ouvrir un espace lisse et continu qui les laissera glisser, surfer dans une violence aveugle. Où iront-ils dans leur quête infinie, tourneront-ils sans fin jusqu'à ce qu'on leur redonne des règles du jeu nouvelles à imaginer ! nul ne peut le dire. L'espèce humaine peut sombrer dans des gouffres ou dans des cavernes sans fond.
C'est pour cela que, auparavant, le deuxième et impératif devoir des architectes sera de construire d'immenses collines creuses, des villes souterraines, enfouies, protégées par des carapaces inexpugnables, inattaquables, indestructibles, parce que faisant partie du sol lui-même, du mouvement du sol artificiel dérobé au regard.
Au fond la chose est simple. Avec les énormes moyens techniques dont nous disposons, nous devons réaliser des boucliers géants, une suite d'ondulations continues qui constitueront le sursol de protection de populations entières, celles de nos villes sans oublier de recueillir les populations dispersées. Sous ces boucliers se développera un habitat souterrain troglodytique fait de grottes secrètes, de labyrinthes, d'espaces obliques continus, de réseaux de communication enchaînés. Toute cette texture des abîmes sera seule capable de protéger l'espèce humaine actuelle en attendant que les choses s'apaisent en surface. Alors quand les choses se seront réorganisées, on pourra rouvrir ces boucliers, retrouver la nature et peu à peu reconstituer une terre habitable.
On quittera sain et sauf cette nouvelle carapace à construire en urgence absolue pour sauver l'espèce humaine.
Les temps difficiles d'aujourd'hui doivent nous faire comprendre que seule la croute terrestre est notre sol à vivre dans la continuité et les ruptures.
Admettons enfin que nos villes actuelles ne sont que des accidents fragiles et temporaires. Au long des siècles ces villes doivent disparaître et se métamorphoser.
Texte de Claude Parent
Pour l'exposition Villes Boucliers du 11 février au 11 mars 2010 à la Galerie Natalie Seroussi