Entretien avec Gérard Berréby, fondateur et directeur des éditions Allia
Natalie Seroussi. Comment est née l'idée de « Voir de mémoire » ?
Gérard Berréby. Wolman m'avait proposé de l'accompagner à l'exposition Schwitters qui avait eu lieu à Beaubourg en 1995, avec sa femme Charlotte et Dominique Thomas, une amie. Nous étions absolument seuls dans le musée, expérience plutôt rare ! L'Ursonate de Schwitters passait en boucle. Nous étions comme dominés par la voix de cette poésie sonore qui nous accompagnait tout au long de l'exposition. Wolman était très sensible au travail de détournement et de collage de Schwitters. Et c'est là qu'il m'a parlé de l'idée d'une exposition qui consisterait en l'ensemble des cartels décrivant les oeuvres de Schwitters accrochées à Beaubourg. Partant d’une annotation de 1973, « La création c’est aussi ce qui reste quand les déménageurs sont passés ». Il voulait appeler cette exposition « Voir de mémoire ». Son oeuvre est emplie de jeux de mots lourds de sens, parfois tragiques... Wolman était à la fois dramatique et joyeux.
« Voir de mémoire » est la dernière idée d'exposition que Wolman a eue et réalisée sans la réaliser. Juste après cela, il y a eu son oeuvre ultime, Les Inhumations, que j’ai publiée. Il est mort peu après.
N. S. Cette exposition est aussi un travail de mémoire et de récit. De récit d'une oeuvre d'art et de transmission...
G. B. Gil se préoccupait beaucoup de transmission. Mais également de disparition. Et donc du paradoxe. Il donne et, en même temps, il soustrait. Parfois, il me livrait des souvenirs, mais ce n’était jamais que des bribes. Chacun devait compléter, interpréter à sa façon. On peut commenter à l’infini Les Inhumations. Il n'y a pas d'interprétation une et définitive et, en ce sens, son texte peut se rapprocher des textes sacrés que l’on commente et interprète sans cesse à travers les siècles.
N. S. Par ailleurs, dans les textes de Wolman, il n'y a jamais de ponctuation, comme dans la Bible. Il faut une oralité pour comprendre ce qui est écrit...
G. B. Si vous lisez ses textes avec votre propre souffle, vous y mettez votre propre ponctuation. Et cette ponctuation personnelle donne au texte un sens différent, que potentiellement il contient. Ce n’est jamais simple avec Wolman, mais c’est facile aussi. Et c’est le piège.
N. S. C'est incroyable comme Gil J Wolman était moderne en son temps et comme les artistes contemporains aujourd'hui se réfèrent à son travail...
G. B. Son oeuvre est à la fois tournée vers le passé et, en même temps, éminemment ancrée dans notre époque. Sa réflexion sur le mot, sur la reproduction, sur l’empreinte, sur le portrait, sur l’actualité, sur la séparation, sur le déchet ou sur le vide le hisse en précurseur de beaucoup de recherches actuelles. Là ou chacun s’empare d’une partie, lui, d’emblée est au centre et les autres à la périphérie. Et puis il aimait explorer de nouveaux outils, dont la problématique même se retrouvait intégrée dans son oeuvre. Il a été l'un des premiers à avoir un ordinateur, un fax et il a aussi très vite utilisé la vidéo. Il a fait ce que l’on pourrait appeler du « cut video », en enregistrant différents programmes télé - une interview politique, un téléfilm, etc., pendant qu’il les zappait. Sans crier gare, il a exploré presque toutes les tendances qui se sont développées après lui dans l'art contemporain.
Voir de mémoire
Past exhibition